CAFI Sainte-Livrade-sur-Lot
CENTRE D'ACCUEIL DES FRANCAIS D'INDOCHINE
Les Oubliés de la Guerre d'Indochine
Dans cet ancien camp militaire, sont arrivés en avril 1956, 1200 personnes, dont 740 enfants, rapatriés d'Indochine. Après les accords de Genève le 21 juillet 1954 et le retrait de la France du Sud-Vietnam. l'Etat a pris en charge ces couples mixtes ou ces veuves de Français (soldats ou fonctionnaires), l'Etat les a hébergés provisoirement dans ce camp de transit. Puis les a oubliés. Cela fait cinquante ans qu'ils attendent, cinquante ans qu'ils vivent là .
CAFI Sainte-Livrade-sur-Lot
Le Centre d'Accueil des Français d'Indochine
Les bâtiments ont été construits avant la guerre, pour abriter provisoirement des militaires, et n'ont jamais été rénovés. Le camp est impropre et indigne à l'usage d'habitation, les logements sont insalubres et dangereux, avec les problèmes d'incendie, d'isolation, d'étanchéité et d'amiante.
Les installations intérieures d'électricité des logements sont vétustes, et ne répondent plus aux normes en vigueur, sans prise de terre et dispositif différentiel, les équipements ne respectent pas les mesures de protection et constituent un réel danger d'incendie.
l'Ensemble des baraquements est constitué de matériaux facilement inflammables, le plancher est en bois, le faux plafond en carton, les murs ont l'épaisseur d'une brique et la toiture est recouverte de plaques ondulées de fibrociment en amiante.
Six incendies se sont déclarés à l'intérieur du camp, dont le dernier en 2005, a fait une victime, une mamie est morte dans l'embrasement de son logement.
Les baraques représentent un véritable danger pour la sécurité et la santé de ses occupants.
Le Centre d'Accueil de Sainte-Livrade-sur-Lot
Le
Centre d'Accueil des Français d'Indochine constitue depuis 1956, un
îlot de pauvreté où vivent encore 120 familles, dans les
baraquements insalubres et dangereux d'un ancien camp militaire.
Pendant plus d'un demi-siècle rien n'a été fait pour ses
habitants .
Un Camp Oublié
REPORTAGE DANS UN CAMP OUBLIE
AUX INDOCHINOIS HARKIS, LA FRANCE RECONNAISSANTE...
Mis à jour le 15 novembre 2003. Auteur : Emmanuelle Braz.
Alors que la France s’apprête à commémorer, discrètement, le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre d’Indochine, un ancien camp militaire du sud-ouest de la France abrite toujours une centaine d’ « Indochinois » rapatriés en 1956. Harkis avant l’heure, ils finissent leur vie misérablement, oubliés de tous, avec pour seul héritage leurs souvenirs et leurs rêves déçus.
Sainte-Livrade, Lot-et-Garonne. Le brouillard tombe sur ce village tranquille. Les rues sont quasi désertes. « Vous connaissez le camp des rapatriés d’Indochine ? - Le village des Chinois ? Oui, c’est à deux kilomètres à droite avant le pont. » Une petite route longe la rivière, traverse une zone pavillonnaire semblable à tant d’autres, puis sur la droite, un panneau, CAFI. Et là, à travers la brume commence un autre monde. Un chemin défoncé circule au milieu d’interminables baraquements aux toits de tôle ondulée. Des enfants accourent, surpris par cette voiture inconnue. Des images se superposent : camp de réfugiés, camp d’internement. On pourrait se croire au Vietnam, pendant la guerre. Il ne manque que le bruit des bombardements. Bienvenue au Centre d’accueil des Français d’Indochine.Jeanne(*) est eurasienne, de mère « annamite » - selon la terminologie de l’époque et de père français. Elle est arrivée à Sainte-Livrade pendant l’hiver 1956, seule avec ses huit enfants. Comme plusieurs milliers de ses semblables, elle a quitté le Vietnam après la défaite française et la proclamation de l’indépendance par Hô Chi Minh. Les enfants de l’ennemi n’étaient plus vraiment les bienvenus dans la nouvelle République de Hanoi.
Les baraques du CAFI |
Sa mère avait épousé un Français. « Epousé », en langage colonial, signifie que son père a vécu un temps avec sa mère -le temps de son engagement militaire en Indochine - avant de retourner au pays retrouver femme et enfants. « Je ne me souviens pas de mon père, il nous a abandonnées quand ma mère était enceinte de ma sœur. Il est parti en vacances en France et il n’est jamais revenu. Ma mère a eu le cœur brisé. Elle est morte de chagrin. Mais avant de mourir, elle a fait jurer à sa sœur que ses filles ne se marieraient jamais avec des Français. Finalement, j’ai eu moi aussi des enfants avec un Français, un militaire et il a fini par partir. C’est le destin. »De nombreuses autres femmes se sont retrouvées dans son cas, abandonnées par leur compagnon français, ou veuves, sans argent, parlant à peine français. A leur arrivée en France, elles ont été regroupées dans cet ancien camp militaire, construit dans les années trente. Elles y rejoignaient d’autres « rapatriés d’Indochine », comme les appelaient alors les autorités coloniales : de jeunes Vietnamiens, ou des eurasiens, qui avaient dû faire leur service militaire ou s’engager dans l’armée française. La plupart possédaient la nationalité française.Ils étaient 1200, regroupés dans ce camp qui devait être provisoire. La plupart sont partis, dès qu’ils ont pu trouver un travail et un logement ailleurs. Ils se sont débrouillés tout seuls, sans aide, ni soutien de la France. Mais d’autres n’ont pas eu cette chance.
« Nous nous sommes retrouvés ici, dans un logement sordide, sans eau ni sanitaires »
Sylvie se souvient de ses premières années dans le camp. Son père, aujourd’hui disparu, travaillait dans la police secrète à Hanoi. Il était eurasien lui aussi, marié à une sino-vietnamienne. En Indochine, il faisait partie des privilégiés. « Nous avons tout perdu en quittant le Vietnam. Nous nous sommes retrouvés ici, dans un logement sordide, sans chauffage ni sanitaires. Il a fallu se débrouiller seuls. Mon père, qui avait pourtant fait des études, s’est retrouvé à faire toutes sortes de petits boulots pour faire vivre ses seize enfants. Ma mère ramassait des haricots verts chez les paysans du coin. Le soir elle nous en ramenait des sacs entiers à équeuter. Nous y passions parfois la nuit. »Le plus dur pour Sylvie, c’est que son père est mort sans jamais avoir eu la moindre reconnaissance de la France. « Il s’est battu contre les Japonais en 1945, il a été fait prisonnier dans des conditions effroyables. Il a même creusé des charniers. Puis il s’est battu contre le Vietminh pendant des années. Il a été blessé et il a boité toute sa vie. Mais jamais il n’a été indemnisé, ni reconnu comme blessé de guerre. Pas la moindre pension d’invalidité, même pas une médaille ». Sa mère renchérit : « On ne pouvait pas imaginer que des anciens soldats d’Indochine seraient traités comme ça. »Pierre, qui est revenu au camp à sa retraite, se souvient : « C’était un vrai camp militaire. Quand je venais passer un week-end chez mes parents, ils devaient demander l’autorisation de m’héberger au directeur du camp, un ancien militaire d’Indochine. La guerre était finie, mais nous continuions de vivre en Indochine, sous un régime militaire. Le dernier directeur a pris sa retraite en 1997. Je crois que c’était un ancien d’Algérie. »
Les bâtiments du camp |
Sylvie se souvient de ses premières années dans le camp. Son père, aujourd’hui disparu, travaillait dans la police secrète à Hanoi. Il était eurasien lui aussi, marié à une sino-vietnamienne. En Indochine, il faisait partie des privilégiés. « Nous avons tout perdu en quittant le Vietnam. Nous nous sommes retrouvés ici, dans un logement sordide, sans chauffage ni sanitaires. Il a fallu se débrouiller seuls. Mon père, qui avait pourtant fait des études, s’est retrouvé à faire toutes sortes de petits boulots pour faire vivre ses seize enfants. Ma mère ramassait des haricots verts chez les paysans du coin. Le soir elle nous en ramenait des sacs entiers à équeuter. Nous y passions parfois la nuit. »Le plus dur pour Sylvie, c’est que son père est mort sans jamais avoir eu la moindre reconnaissance de la France. « Il s’est battu contre les Japonais en 1945, il a été fait prisonnier dans des conditions effroyables. Il a même creusé des charniers. Puis il s’est battu contre le Vietminh pendant des années. Il a été blessé et il a boité toute sa vie. Mais jamais il n’a été indemnisé, ni reconnu comme blessé de guerre. Pas la moindre pension d’invalidité, même pas une médaille ». Sa mère renchérit : « On ne pouvait pas imaginer que des anciens soldats d’Indochine seraient traités comme ça. »Pierre, qui est revenu au camp à sa retraite, se souvient : « C’était un vrai camp militaire. Quand je venais passer un week-end chez mes parents, ils devaient demander l’autorisation de m’héberger au directeur du camp, un ancien militaire d’Indochine. La guerre était finie, mais nous continuions de vivre en Indochine, sous un régime militaire. Le dernier directeur a pris sa retraite en 1997. Je crois que c’était un ancien d’Algérie. »
Les baraquements |
Pendant les rares heures de liberté que lui laissent son travail, Sylvie vient rendre visite à plusieurs personnes âgées dans le camp. « J’ai choisi de rester près de Sainte-Livrade, près de ma mère et de ces personnes isolées. Je fais ce que je peux pour les aider. Qu’au moins ils puissent mourir dignement. Mais parfois je m’énerve quand je vois dans quelles conditions ils vivent. Ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir des enfants qui ont fait des travaux dans leurs logements vivent dans des taudis. C’est indigne. Et pourtant, il y a eu des aides de l’Etat. Que sont-elles devenues ? »Il reste moins d’une centaine de « rapatriés d’Indochine » dans le camp, tous âgés et usés par la vie. Ceux qui sont restés étaient les plus fragiles, les plus démunis. Les veuves vivent leurs dernières années près d’un chauffage à mazout, entre la télévision et le téléphone, dans l’attente d’un appel de leurs enfants partis travailler loin d’elles. Elles ne parlent toujours pas français. Les anciens militaires souffrent de leurs blessures de guerre et ressassent les histoires de leur jeunesse. Amers et nostalgiques, certains voudraient repartir au Vietnam, mais ils savent qu’il n’y a plus de place pour eux là-bas.Ils n’ont jamais manifesté, jamais rien demandé. Sans doute étaient-ils trop fiers pour se plaindre. Alors tout le monde les a oubliés. « L’Etat ne gère que l’urgence, ne réagit que lorsqu’il y a le feu », avoue un haut fonctionnaire qui a essayé de s’occuper du dossier il y a quelques années. « Si les Harkis ont obtenu quelques compensations, même si elles sont bien maigres, c’est parce que la deuxième génération s’est révoltée. Les Vietnamiens n’ont jamais élevé la voix, ils n’ont rien eu. »Jusqu’en 1981, le camp était sous tutelle directe de l’Etat. D’abord rattaché au ministère des Affaires étrangères, il a ensuite été administré par huit ministères successifs, chacun se renvoyant la balle. D’année en année, la subvention allouée à la commune de Sainte-Livrade pour l’entretien du camp s’est amenuisée. Puis, en 1981, la mairie a décidé d’acheter le camp, surtout intéressée par les huit hectares de terrain constructibles.
Emmanuelle Braz
(*) Les noms ont été changés à la demande des personnes rencontrées.
Les Oubliés de l'Histoire de l'Indochine Française
Cinquante ans après la chute de Dien Bien Phu, des Français rapatriés d'Indochine vivent toujours dans des baraquements .
Sainte-Livrade-sur-Lot - Une route défoncée. Des dizaines de baraquements délabrés, alignés les uns à côtés des autres, marqués d'une lettre ou d'un numéro, et surmontés d'un toit de tôle. A quelques kilomètres du coeur de Sainte-Livrade, un village d'un peu plus de 6.000 âmes, posé sur les berges du Lot, une simple pancarte indique l'entrée du «Centre d'accueil des Français d'Indochine», le CAFI.
C'est là, dans cet ancien camp militaire, que sont arrivés en avril 1956, 1.160 réfugiés, dont 740 enfants, rapatriés d'Indochine. Après les accords de Genève de 1954 et le retrait de la France du Sud-Vietnam, l'Etat français a pris en charge ces couples mixtes ou ces veuves de Français (soldats ou fonctionnaires), qui fuyaient la guerre et le communisme. L'Etat les a hébergés «provisoirement» -selon les mots employés en 1956 par les autorités - dans ce camp de transit. Puis les a oubliés. Cela fait cinquante ans qu'ils attendent, cinquante ans qu'ils vivent là.
«Nous sommes restés toutes ces années sans comprendre, sans rien dire», dit Jacqueline Le Crenn. Agée de 91 ans, cette vieille femme eurasienne vit dans le même baraquement depuis qu'elle a quitté le Tonkin de son enfance, il y a près d'un demi-siècle. Son appartement comprend une entrée-cuisine, une chambre-salon, et une pièce transformée en pagode, où elle voue son culte au Boudha. «Je me suis habituée au camp et à cette vie, poursuit-elle. Je veux mourir ici.»
Jacqueline fait partie des 48 «ayants-droits» encore en vie, sur les quelque 200 personnes hébérgés au CAFI. La plupart des enfants de rapatriés ont quitté le camp. Mais les plus fragiles sont restés : les veuves, qui n'ont jamais eu les moyens de s'installer ailleurs ; les enfants qui n'ont pas trouvé de travail les malades et les handicapés.
"La guerre est venue et nous avons tout perdu"
Selon l'association «Mémoire d'Indochine», une quinzaine de personnes handicapées vivent au CAFI, dans des conditions très précaires. Des silhouettes mal assurées hantent en effet le centre des rapatriés. Comme cet homme au teint sombre et aux yeux bridés, claudiquant le long des barraquements. Ou ce quadragénaire aux cheveux longs, qui erre dans le camp en parlant tout seul. «Certains enfants du centre ont fait des crises d'adolescence difficiles, explique le président de Mémoire d'Indochine, Georges Moll. Ils ont été conduits à l'hôpital psychiatrique, et en sont ressortis dans un état catastrophique.»
Jacqueline Le Crenn vit seule depuis le départ de ses six enfants. La mère de cette femme au physique sec était Vietnamienne et son père, mort à la guerre de 1914-18, Français. «Nous sommes pupilles de la nation», dit fièrement Jacqueline. La vieille femme voutée, assise à côté d'un poêle à gaz, raconte sa vie d'avant, la «vie heureuse». La construction d'une maison au Tonkin, où son mari et elle avaient projeté de s'installer, l'achat de rizières pour leurs vieux jours. «Et puis la guerre est venue et nous avons tout perdu.»
Après la chute de Dien Bien Phu, en 1954, la famille Le Crenn, comme la plupart des rapatriés d'Indochine, ont dû quitter le nord pour le sud du Vietnam. Ils ont ensuite attendu à Saigon, dans des camps, avant de prendre le bateau pour Marseille et d'être hébergés dans plusieurs centres de transit en France. Sainte-Livrade est l'un des deux seuls camps qui subsistent aujourd'hui, avec celui de Noyant, dans l'Allier. «C'était un déchirement, raconte encore Jacqueline. La traversée a duré un mois. Je me disais que ce n'était plus la vie. Les autres étaient sur le pont. Moi j'étais au fond du bateau et je pleurais.»
En arrivant au camp de Sainte-Livrade, alors entouré de barbelés, le fils de Jacqueline a demandé : «Maman, c'est ici la France ?» «Le plus dur, c'était le froid, précise Jacqueline. Ensuite, il a fallu tenir, tout reconstruire, trouver de quoi vivre.» Beaucoup de rapatriés ont été embauchés dans les usines d'agro-alimentaire de la région. Ou travaillaient dans les champs de haricots.
Claudine Cazes, 11ème de 16 enfants - et première à être née dans le CAFI, en 1957 -, se souvient des heures d'«équeutage». «Des sacs de haricots arrivaient au camp le matin et devaient être prêts pour le soir, raconte cette aide-soignante de 47 ans, qui a quitté le camp en 1977. Tout le monde s'y mettait.» Sa mère, Vuong, âgée de 81 ans, vit toujours au CAFI. Son père, Paul, est mort l'année dernière. Français d'origine franco-chinoise, il avait fait de prestigieuses études en Indochine, et travaillait dans les forces de sécurité. Mais en arrivant en métropole, Paul Cazes n'a pas pu intégrer la police française, et a dû travailler à l'usine.
Logé dans un autre barraquement du camp, Emile Lejeune, 84 ans, dit ne pas avoir de «nostalgie». Pour sa mère et lui, le rapatriement de 1956 fut un soulagement. Militaire du corps expéditionnaire français en extrême orient (CEFEO), ce fils d'un magistrat français et d'une princesse vietnamienne a été fait prisonnier par le Vietminh en 1946, et est resté sept ans en captivité. «Là-bas, la vie et la mort étaient sur le même plan, témoigne Emile. Beaucoup de mes camarades sont morts de dysenterie, du palu, ou de malnutrition. Le pire, c'était le lavage de cerveau. On nous affaiblissait pour nous inculquer le communisme.» Sur près de 40.000 prisonniers du CEFEO, moins de 10.000 ont survécu aux camps du Vietminh.
Chez Emile, une photo de jonque, voguant dans la baie d'Halong, des statues de Boudha, et plusieurs couvre-chefs : le traditionnel chapeau conique des vietnamiens, un chapeau colonial usé et un képi de soldat français. Son vieux képi entre les mains, le vieil homme aux yeux bridés dit qu'il n'a «pas de haine en lui». «Mais je suis attristé, ajoute-t-il. Parce que la France en laquelle nous croyions ne nous a pas accueillis. Nous n'avons jamais été considérés comme des Français, mais comme des étrangers. Parqués, surveillés, puis abandonnés.» Emile, lui, demande juste «un peu de reconnaissance». Au nom de «ces dames du CAFI, trop humbles pour réclamer». Au nom de ces «épouses ou mamans de combattants, pour certains morts au champ d'honneur, morts pour la France.»
D'abord rattachés au ministère des affaires étrangères, les rapatriés du CAFI ont ensuite été administrés par huit ministères successifs. Les directeurs du camp étaient des anciens administrateurs des colonies. «Ils reproduisaient avec nous leurs mauvaises habitudes de là-bas, se souvient Jacqueline Le Crenn. Ils nous traitaient comme des moins que rien. Nous devions respecter un couvre-feu et l'électricité était rationnée.»
Au début des années 1980, la commune de Sainte-Livrade a racheté les sept hectares de terrain à l'Etat pour 300.000 francs, avec le projet de réhabiliter le centre. Mais ces bâtiments, contruits avant-guerre pour abriter provisoirement des militaires, n'ont jamais été rénovés. Longtemps, il n'y a eu ni eau chaude, ni salle d'eau, et des WC communs. «Pas d'isolation, pas d'étanchéité, sans parler des problèmes d'amiante, et des réseaux d'électricité hors normes», énumère la première adjointe au maire, Marthe Geoffroy.
Les paillotes |
En 1999, la municipalité, aidée de l'Etat, a engagé un programme de réhabilitation d'urgence pour les logements ne bénéficiant pas du confort sanitaire minimal. Des travaux à «but humanitaire» dans l'attente d'une solution pour l'ensemble du CAFI. Mais depuis, rien. Le maire (UMP), Gérard Zuttion, se dit bien «un peu choqué» par cette «sorte d'abandon». Mais il dit aussi que la commune n'a pas les moyens «d'assumer seule les déficiences de l'Etat vis-à-vis de cette population». Le maire évoque des «projets de réhabilitation sérieux pour les prochains mois». Puis il se ravise, parle plutôt «d'années». «A cause de la lenteur de l'administration...»
«C'est trop tard, tranche Claudine. Tout ce que nous voulons, au nom de nos parents, c'est la reconnaissance.» Sa mère, Vuong, écoute sa fille sans rien dire, s'affaire dans la cuisine puis s'assoit dans un grand fauteuil d'osier. Au crépuscule de sa vie, cette femme jadis ravissante, des cheveux blancs tirés dans un chignon impeccable, n'attend plus rien. Tous les matins, elle apporte une tasse de café sur l'autel où repose une photo de son mari, disparu l'année dernière. Elle dépose d'autres offrandes et brûle un bâton d'encens. Avant de mourir, l'homme de sa vie répétait à ses seize enfants «Ma seule richesse, c'est vous. L'Etat français sait ce qu'il nous doit. Moi, jamais je ne lui réclamerait rien. Nous vivons dans le camp des oubliés.»
Par Solenn De Royer - La Croix - 5 Mai 2004.
La Manifestation
19/11/2004
SAINTE-LIVRADE (47). Bambou Gainsbourg soutient une manifestation autour du Centre d'accueil des Français d'Indochine (Cafi) où elle a vécu. Ce camp est promis à une réhabilitation contestée
L'icône du « petit Vietnam »
Sainte-Livrade.C'est dans ce décor de béton abîmé que Bambou a grandi
Adrien Vergnolle
C'est un ancien camp militaire, de longs baraquements en béton, toits en tôle et minuscules jardins grillagés. Il y a des petites lanternes chinoises accrochées à l'entrée de quelques paliers, de grands idéogrammes peints sur les murs des épiceries asiatiques et du petit bar décoré de bambous. Plusieurs bâtiments vides aux vitres brisées, des traces d'incendie sur d'autres. Le Centre d'accueil des Français d'Indochine est ce triste atoll asiatique, au large du centre-ville de Sainte-Livrade, (6 200 habitants). Environ 200 personnes vivent ici. De la première génération des rapatriés d'Indochine en 1956 (1) âgés de 80 à 90 ans, ils parlent peu le français aux deuxième et troisième générations, largement intégrées dans le département.
Le « petit Vietnam » ou « camp des Chinois », comme on dit parfois sur les trottoirs du chef-lieu de canton, vivra demain sa première manifestation depuis cinquante ans. Une manifestation (2) organisée par l'Association des résidents et amis du Cafi (Arac) et l'association Art et culture d'Indochine, pour protester contre un projet de réhabilitation des lieux.
50 années d'oubli et de mépris... |
Les manifestants rêvent d'un « village asiatique » débarrassé de l'appellation « centre d'accueil », « quelque chose qui dure dans le temps, pas de l'habitat bon marché ». Les associations donnent en exemple l'ancien centre de Noyan, dans l'Allier.
« Là-bas, tous les logements ont été cédés aux habitants. Le camp est devenu un quartier de la ville à part entière. » Le Cafi se dirige plutôt vers un projet de réhabilitation tissé par les élus locaux propriétaires : démolitions-reconstructions, création de logements sociaux, locatifs ou d'accès à la propriété, accompagnement social et relogement des résidents.
Depuis plusieurs années, le Cafi est au centre d'un ballet d'enquêtes sociales ou d'insalubrité. Une troisième devrait débuter ce mois-ci, à laquelle les manifestants de samedi s'opposent.
Premier épisode : la semaine dernière, un colloque organisé par les deux associations, pour le cinquantenaire des accords de Genève, invitait l'avocat bordelais Me Gérard Boulanger, président de la Ligue des droits de l'homme de Gironde, qui s'est dit prêt à « défendre les intérêts des résidents ».
Présent aussi, l'historien Alain Ruscio, spécialiste du thème, s'est publiquement dit « scandalisé » par l'état du Cafi. Et les deux figures médiatiques ont « suggéré » aux associations d'approcher intellectuels et personnages médiatiques, rapporte prudemment Mathieu Samel.
C'est lui qui a pensé à Bambou. Quelques « anciens » du Cafi se sont souvenus que la dernière compagne de Serge Gainsbourg a vécu là et ont tenté de joindre l'actrice et chanteuse dans un exercice de médiatisation un peu improvisé. Bambou a accepté d'être la marraine de la manifestation (lire par ailleurs). Elle dit, comme un slogan : « Il faut laisser nos ancêtres en paix, leur laisser ce petit bout de terre vietnamienne. »
Rénovation concertée... |
Ce soutien éclaire Hélène, une résidente de 58 ans : « Elle a dû garder des mauvais souvenirs d'ici. Ca a dû la marquer, mais c'est touchant qu'elle se souvienne... »
« C'est important et symbolique, elle est issue de notre communauté et elle montre qu'elle peut s'impliquer même si elle est éloignée, dit Mathieu Samel. Nous voulons retrouver ceux qui ont réussi pour montrer que nous ne sommes pas des cas sociaux. »
(1) Français d'Indochine, veuves ou compagnes de soldats, enfants métis parfois engagés dans l'armée française, ils furent 6 000 à fuir la nouvelle République du Vietnam à l'issue de la guerre et 2 000 à transiter par le Cafi.
(2) Le rendez-vous est fixé ce samedi à 14 heures à l'esplanade Saint-Martin. La marche se dirigera vers la mairie.
La Cité Perdue des Français d'Indochine (1)
Boris Thiolay
En 1956, 30 000 rapatriés débarquent en métropole, accueillis, pour certains, dans des centres de transit. Cinquante ans après la défaite de Dien Bien Phu, 200 de ces Français d'Extrême-Orient vivent encore dans les baraquements de Sainte-Livrade-sur-Lot. Parmi eux, bien peu furent indemnisés. Aujourd'hui, avec la rénovation programmée du camp, ils craignent un nouveau déracinement
Assise sur son fauteuil d'osier, emmitouflée dans un gilet brodé, Vuong Cazes s'interrompt quelques instants, les yeux mi-clos. Autour de la table de cuisine, Cécile, 52 ans, et Claudine, 47 ans, deux de ses 16 enfants, l'aident à remonter le fil de ses souvenirs. Et traduisent son lent récit, égrené en vietnamien, d'où affleurent des mots sortis d'un atlas colonial: «Indochine», «chemin de fer de Saigon», «Dien Bien Phu»... A 83 ans, Vuong, veuve depuis l'année dernière d'un ancien militaire français, est l'un des derniers habitants du Centre d'accueil des Français d'Indochine (Cafi) de Sainte-Livrade-sur-Lot (Lot-et-Garonne). A 2 kilomètres de ce bourg de 6000 habitants, le long des rives du fleuve, une simple pancarte signale l'entrée de ce lieu saisissant: 26 baraquements militaires, aux toits de tôle ondulée et marqués d'une grosse lettre peinte, s'alignent sur 7 hectares. Au centre, un terrain de foot à l'abandon, quelques pelouses, une ancienne usine désaffectée. Des appentis délabrés abritent les WC collectifs.
Une épicerie du camp |
Le Cafi est aujourd'hui le dernier camp de transit resté à peu près dans l'état où il était en 1956, et toujours en service: ici, 1 156 Français rapatriés d'Indochine ont été accueillis en quelques mois. Il en reste 200, tous un peu inquiets, un peu amers. Pendant des années, on les a oubliés. Aujourd'hui, les pouvoirs publics se réveillent et mesurent soudain la précarité de leur situation. Depuis longtemps, ces Français d'Indochine espèrent être indemnisés, comme l'ont été les harkis et les rapatriés d'Algérie, arrivés en métropole après eux. La loi de reconnaissance pour les Français rapatriés, qui doit être promulguée au printemps, prévoit de nouvelles indemnisations pour les Français d'Afrique du Nord. Aux rapatriés d'Indochine il ne sera offert qu'une reconnaissance morale. Autre sujet d'angoisse: après cinquante ans de statu quo, l'Etat, la région et la commune décident aujourd'hui de rénover leur camp. Alors, ils ont peur. De voir leurs mamies déplacées, leurs traditions bousculées. Peur de subir un second déracinement, après avoir déjà tout perdu en Indochine.
Les poussières d'un empire disparu
En 1954, la défaite de Dien Bien Phu, puis les accords de paix de Genève sonnent le glas de la présence française en Extrême-Orient. Au fur et à mesure de la progression vers le sud des combattants communistes du Viet-minh, les populations fidèles à la France refluent vers Saigon, abandonnant tous leurs biens derrière elles. Dans les premiers mois de 1956, en urgence, plus de 30 000 Français - quelques combattants, mais surtout leurs épouses, compagnes ou veuves, ainsi que leurs enfants eurasiens - sont rapatriés par bateau vers une métropole dont ils ne connaissent rien. «Nous n'avons pu embarquer que quelques souvenirs, 5 kilos de riz et deux marmites», se souvient encore Vuong Cazes. Un mois de traversée jusqu'à Marseille. A l'arrivée, certaines familles sont disséminées dans toute la France, d'autres, regroupées dans des centres d'accueil. Essentiellement à Noyant, dans l'Allier, et à Sainte-Livrade-sur-Lot.
Un magasin de produits exotiques |
Hiver 1956. Une noria de camions militaires dépose au Cafi près de 1200 personnes, dont 740 enfants. Tous ont les yeux bridés et portent des noms français. Le ministère de l'Intérieur attribue à chaque famille, à titre gratuit, un «appartement» de trois pièces dans les baraques de plain-pied. «On nous a donné des lits en fer de l'armée, une paillasse, un manteau. Comme nous étions quatre, nous avons reçu quatre timbales, quatre assiettes et quatre couverts», se rappelle Hélène Mutos, arrivée à l'âge de 9 ans. Les réfugiés disposent également d'un poêle à charbon et d'une caisse d'anthracite pour la semaine. Un «hébergement provisoire de caractère essentiellement précaire et révocable», précisait le règlement du camp, en 1959. Du provisoire qui dure depuis quarante-neuf ans.
Les plus âgés, les plus fragilisés de ces naufragés de l'indépendance vietnamienne vivent toujours au Cafi. Parmi eux, une soixantaine d' «ayants droit», selon le terme consacré: des personnes déjà adultes au moment de leur rapatriement. Depuis, elles ont été cantonnées là. Placées sous la tutelle de huit ministères successifs, on les a tout simplement ignorées. Comme les petites poussières d'un empire disparu.
Aujourd'hui, les enfants et petits- enfants des «mamies» indochinoises réclament un geste symbolique de l'Etat. «Chaque famille devrait percevoir une allocation de 30 000 euros, comme on l'a fait pour les harkis», revendique Georges Moll, président de l'association Mémoire d'Indochine. Marié à l'une des filles de Vuong Cazes, il est lui-même originaire d'Algérie.
5 000 francs pour un couple et quatre enfants. Pour solde de tout compte
Ces Indochinois, les premiers réfugiés débarquant en métropole six ans avant les Français d'Algérie, ont essuyé les plâtres de la décolonisation. La première loi concernant les rapatriés ne date que du 26 décembre 1961: elle anticipait sur le dénouement imminent de la tragédie algérienne. Quand, à partir de 1962, 1 million de pieds-noirs et de harkis ont quitté l'Afrique du Nord pour la métropole, le sort de quelques dizaines de milliers d'Eurasiens a probablement paru secondaire. «Les Français d'Indochine ont bénéficié des mêmes droits à l'indemnisation que les autres», objecte Alain Vauthier, président du Haut Conseil des rapatriés (HCR) et directeur général de l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer (Anifom). Selon cet organisme public, 2 577 foyers ont touché une indemnité pour leurs biens perdus avant 1970. A condition d'avoir pu sauvegarder titres de propriété et justificatifs dans la débâcle. A Sainte-Livrade-sur-Lot, seules une poignée de familles ont été indemnisées: 5 000 francs pour un couple et quatre enfants. Pour solde de tout compte.
Mais plusieurs événements récents ont réveillé la mémoire de ces enfants du Tonkin, d'Annam, de Cochinchine, du Laos et du Cambodge. En mai 2004, on commémorait le 50e anniversaire de la bataille de Dien Bien Phu. «En sacrifiant au culte de cette défaite héroïque - celle de soldats français offrant leur vie sur l'autel de la lutte contre le communisme - on a ravivé le souvenir des Indochinois qui avaient fait confiance à la France, explique l'historien Alain Ruscio, spécialiste de la période. Après Dien Bien Phu, on a orchestré l'oubli de cette guerre lointaine et désastreuse. Les rapatriés d'Indochine ont subi une injustice historique.» Fin octobre 2004, l'association Art et culture d'Indochine a organisé, à Sainte-Livrade, un colloque sur les accords de paix de Genève. Là encore, les souvenirs sont remontés à la surface. D'autant que, au même moment, l'annonce d'un projet de réhabilitation du camp semait l'inquiétude parmi les habitants du Cafi. Leurs associations dénoncent le «manque de concertation» entourant l'opération. «Que veut-on faire? Raser les bâtiments? Proposer des appartements en accession à la propriété à des gens qui n'en ont pas les moyens? s'interroge Alain Gerlach, président de l'Association des résidents et amis du Cafi (Arac). Ce que nous voulons, c'est un village qui conserve sa spécificité vietnamienne, financé par l'Etat, pour compenser son abandon depuis cinquante ans.» De son côté, Georges Moll souhaiterait que le plan actuel du camp soit conservé, tout en mêlant rénovation et construction de maisons: «Deux priorités: laisser les anciens finir leurs jours paisiblement dans leur appartement et ériger une stèle rappelant l'histoire des habitants.»
La pagode du camp |
Mais plusieurs événements récents ont réveillé la mémoire de ces enfants du Tonkin, d'Annam, de Cochinchine, du Laos et du Cambodge. En mai 2004, on commémorait le 50e anniversaire de la bataille de Dien Bien Phu. «En sacrifiant au culte de cette défaite héroïque - celle de soldats français offrant leur vie sur l'autel de la lutte contre le communisme - on a ravivé le souvenir des Indochinois qui avaient fait confiance à la France, explique l'historien Alain Ruscio, spécialiste de la période. Après Dien Bien Phu, on a orchestré l'oubli de cette guerre lointaine et désastreuse. Les rapatriés d'Indochine ont subi une injustice historique.» Fin octobre 2004, l'association Art et culture d'Indochine a organisé, à Sainte-Livrade, un colloque sur les accords de paix de Genève. Là encore, les souvenirs sont remontés à la surface. D'autant que, au même moment, l'annonce d'un projet de réhabilitation du camp semait l'inquiétude parmi les habitants du Cafi. Leurs associations dénoncent le «manque de concertation» entourant l'opération. «Que veut-on faire? Raser les bâtiments? Proposer des appartements en accession à la propriété à des gens qui n'en ont pas les moyens? s'interroge Alain Gerlach, président de l'Association des résidents et amis du Cafi (Arac). Ce que nous voulons, c'est un village qui conserve sa spécificité vietnamienne, financé par l'Etat, pour compenser son abandon depuis cinquante ans.» De son côté, Georges Moll souhaiterait que le plan actuel du camp soit conservé, tout en mêlant rénovation et construction de maisons: «Deux priorités: laisser les anciens finir leurs jours paisiblement dans leur appartement et ériger une stèle rappelant l'histoire des habitants.»
Pour la municipalité de Sainte-Livrade, qui a racheté le centre à l'Etat en 1981 pour la somme de 300 000 francs, l'affaire tourne au casse-tête. «Le projet respectera le vœu des habitants et l'esprit du lieu, assure Gérard Zuttion, maire (UMP) de la commune. En revanche, nous ne pourrons pas conserver des bâtiments insalubres, hors normes, voire dangereux.» Mais comment concilier les aspirations de trois générations d'habitants viscéralement attachés à un décor rappelant les plus sinistres camps d'internement?
«Pour nous, l'histoire de France a commencé ici», résume Christine Fanton-d'Andon, 25 ans, représentante de cette troisième génération qui refuse de voir mourir le Cafi. Portable dernier cri en sautoir, arborant un petit bouddha et un idéogramme symbolisant la chance en pendentif, Christine renoue les liens d'une histoire familiale distendue par l'exil, le déracinement et la rigueur de l'administration. Ses grands-parents furent un temps transférés à Noyant, dans l'Allier. Son père et sa mère se sont rencontrés au Cafi. Ils en furent expulsés, avant de pouvoir y revenir quelques années plus tard. «Un jour, on nous a posés ici, dit-elle. Nos familles avaient tout perdu. Elles ont recréé leur petit univers.»
La Cité Perdue des Français d'Indochine (2)
Ce Vietnam miniature a longtemps gardé le goût des fruits amers. Arrivée à Sainte-Livrade avec six enfants dans les bras, Joséphine Le Crenn, 92 ans, a cru mourir. De froid. De chagrin. Son mari, militaire, avait déjà refait sa vie en France, avec une autre femme. «Mais je n'avais pas le temps de me plaindre. Il fallait travailler pour nourrir les petits», murmure-t-elle, assise près du poêle à gaz qui tourne à plein régime. Un chapeau conique trône sur une étagère. «On les portait pour se protéger du soleil et de la pluie quand on allait aux champs», poursuit Joséphine. Des années durant, femmes et enfants se sont échinés à cueillir, puis à équeuter les haricots de la vallée du Lot: 1 franc l'heure, 5 francs le sac de 25 kilos, payés de la main à la main. Les exploitants agricoles voyaient d'un bon oeil ces «Chinoises», fluettes et discrètes, qui n'abîmaient pas les plantes.
Certains hommes furent employés dans les conserveries des environs ou dans l'usine de chaussures qui fonctionna un temps à l'intérieur du camp. Beaucoup de sacrifices pour améliorer un peu l'ordinaire. A force d'économies, les bouddhistes, femmes en tête, ont pu aménager une pagode, aujourd'hui fermée, et construire de petits autels familiaux dans une pièce réservée à cet usage. De vrais bouddhas ventrus ont remplacé les premières statuettes, confectionnées à l'aide de baigneurs en Celluloïd. Les familles catholiques, elles, disposent toujours d'une chapelle. Longtemps, un curé zélé, ancien missionnaire en Indochine, a veillé au salut des âmes. «Un jour, le prêtre a expliqué à ma mère que si ses enfants n'étaient pas baptisés, ils ne pourraient pas aller à l'école et que les allocations familiales seraient supprimées», se souvient Claudine Cazes. Va pour le baptême, quitte à continuer d'honorer les ancêtres à la maison. Jusqu'au milieu des années 1960, les gamins étaient scolarisés à l'intérieur du camp. Il fallait marcher à la baguette: hommage au drapeau tricolore matin et soir. Jusqu'en 1997, le Cafi a été supervisé par un directeur, généralement issu de l'administration coloniale. Une secrétaire, quatre agents d'entretien, un médecin et deux assistantes sociales complétaient le dispositif. D'après le règlement de 1959, les «marques extérieures de richesse telles que voiture, appareil de télévision, Frigidaire [...]» pouvaient justifier un renvoi du camp.
«Ils ont reproduit avec nous ce qu'ils avaient fait subir à l'indigène. On a géré notre vie à notre place», s'indigne Jean-Claude Rogliano, 62 ans, «français depuis quatre générations», qui a terminé sa carrière comme contrôleur à la SNCF. A l'entendre, l'orientation scolaire des gamins était toute tracée: mécanicien, couturière ou soldat, comme papa. A l'extérieur du camp, les «Chinois» n'étaient pas toujours bien vus. Hormis les jolies demoiselles eurasiennes, évidemment. Jean-Claude se souvient de bagarres homériques contre les gaillards de l'équipe de jeu à XIII de Villeneuve-sur-Lot. Dans les années 1960, la presse locale détaillait à l'envi les méfaits des «blousons jaunes». Pourtant, la grande majorité des enfants de la deuxième génération, âgés aujourd'hui de 50 à 60 ans, a connu une spectaculaire promotion sociale. Ils sont commerçants, fonctionnaires, médecins, stylistes. Mais ils reviennent toujours au camp. Pour le Nouvel An chinois, au 15 août, à Noël. L'occasion de se remémorer les après-midi passés à jouer à la guerre, quand personne ne voulait endosser le rôle du «Viet». Et les concours de cerfs-volants, assemblages de bambous coupés sur les berges du Lot, de papier journal et de pâte de riz gluant. Ils reviennent surtout pour entourer leurs vieux parents, contribuer à améliorer le confort des appartements vétustes.
Le château d'eau |
Aujourd'hui, le Cafi vit encore à l'heure indochinoise. Deux épiceries regorgent de produits asiatiques. A midi, un carré de fidèles avale une soupe ou une assiette de tripes parfumées à la coriandre Chez Gontran, dont l'arrière-boutique fait office de restaurant. A la maison, les grand-mères allument un bâton d'encens avant de regarder, grâce au satellite, les émissions de la radio-télévision vietnamienne.
Les anciens ne demandent qu'à finir leurs jours en paix. «Pour nous, c'est trop tard maintenant. Mes filles veulent que j'aille habiter chez elles, mais, moi, je suis bien ici», glisse Joséphine Le Crenn, qui continue de rendre visite à ses «copines», dont la plupart ne parlent que quelques mots de français. Plus d'amertume. Juste une vague nostalgie d'un temps révolu. D'un pays mythique qui s'appelait Indochine et non Vietnam. A 84 ans, Emile Lejeune, profondément bouddhiste, est considéré comme le sage du camp. Fils d'un magistrat français reconverti dans les plantations de café et d'une princesse annamite, il a grandi entouré d'un précepteur et de plusieurs domestiques. Aux murs du vieil appartement qu'il occupe dans le bâtiment A, des photos montrent un beau jeune homme aux cheveux gominés. On le surnommait «le Tino Rossi de Saigon»: il n'avait pas son pareil pour pousser la chansonnette auprès des filles. Incorporé à 18 ans, il a surtout connu l'air de la guerre. Prisonnier des Japonais en 1945, il échappe de peu à la décapitation, avant de s'évader. Un an plus tard, il tombe aux mains du Viet-minh. Six ans et demi de captivité, notamment au terrible camp de rééducation 113. Avec sa pension d'ancien combattant, il s'est aménagé un intérieur douillet, contrastant avec la laideur des baraques. Chaque jour, Emile nourrit les chats du camp, puis rend visite à son copain de toujours: à 77 ans, Charles-Pierre Maniquant raconte ses campagnes avec une précision digne d'un rapport militaire. Il a fait toutes les guerres coloniales. Résistant à 17 ans contre l'invasion japonaise. Agent de renseignement en zone «viet». Engagé dans les paras en 1954, il voulait sauter sur Dien Bien Phu: «On savait que c'était perdu, mais j'avais des amis là-bas.» Rapatrié, il sautera sur l'Algérie. Cinq ans dans le djebel. Une flopée de médailles, quatre citations. A sa retraite, en 1966, il a choisi de venir vivre au Cafi. «Je ne connaissais personne en France, je voulais retrouver une ambiance.» L'attachement au drapeau est intact. Le 19 juin 2004, Charles-Pierre Maniquant se fait photographier au côté de Hamlaoui Mekachera, ministre délégué aux Anciens Combattants, en visite à Sainte-Livrade-sur-Lot. Mais une question taraude le vieux guerrier: «Pourquoi ne fait-on rien pour ces mamies trop humbles pour espérer un simple merci?»
A la Mission interministérielle aux rapatriés (MIR), créée en mai 2002, on concède que «les habitants du Cafi ont pu avoir le sentiment d'être oubliés». Mais la future loi de reconnaissance entend revaloriser l'œuvre et la mémoire de tous les Français originaires des anciennes colonies. «Pendant des décennies, ce sujet est resté très sensible. Le moment est venu de présenter, sereinement, les échecs mais aussi les réussites de notre histoire coloniale», explique Marc Dubourdieu, président de la MIR. Cet hommage se concrétisera notamment par l'ouverture, en 2006, à Marseille, du Mémorial de la France d'outre-mer, un lieu combinant muséographie et pôle de recherche universitaire. Pourtant, une fois encore, les Français d'Indochine risquent de rester au second plan. Pour eux, pas d'indemnisation complémentaire prévue à ce jour. De plus, le Haut Conseil des rapatriés, créé en 2003, ne comprend aucun de leurs représentants parmi ses 40 membres. Lors du premier examen de la loi de reconnaissance à l'Assemblée nationale, le 11 juin 2004, on avait même omis de les mentionner explicitement dans le texte. Un oubli réparé à la suite d'un amendement déposé par Yves Simon, député (UDF) de l'Allier. «Voilà bien une caractéristique française: on donne à ceux qui réclament et l'on oublie ceux qui n'osent rien demander», tranche le parlementaire.
Les toilettes communes extérieures |
A la Mission interministérielle aux rapatriés (MIR), créée en mai 2002, on concède que «les habitants du Cafi ont pu avoir le sentiment d'être oubliés». Mais la future loi de reconnaissance entend revaloriser l'œuvre et la mémoire de tous les Français originaires des anciennes colonies. «Pendant des décennies, ce sujet est resté très sensible. Le moment est venu de présenter, sereinement, les échecs mais aussi les réussites de notre histoire coloniale», explique Marc Dubourdieu, président de la MIR. Cet hommage se concrétisera notamment par l'ouverture, en 2006, à Marseille, du Mémorial de la France d'outre-mer, un lieu combinant muséographie et pôle de recherche universitaire. Pourtant, une fois encore, les Français d'Indochine risquent de rester au second plan. Pour eux, pas d'indemnisation complémentaire prévue à ce jour. De plus, le Haut Conseil des rapatriés, créé en 2003, ne comprend aucun de leurs représentants parmi ses 40 membres. Lors du premier examen de la loi de reconnaissance à l'Assemblée nationale, le 11 juin 2004, on avait même omis de les mentionner explicitement dans le texte. Un oubli réparé à la suite d'un amendement déposé par Yves Simon, député (UDF) de l'Allier. «Voilà bien une caractéristique française: on donne à ceux qui réclament et l'on oublie ceux qui n'osent rien demander», tranche le parlementaire.
A la mi-février, plusieurs associations représentatives des Français d'Indochine envisagent de manifester à Paris pour exiger une «reconnaissance pleine et entière». Quelques jours auparavant, le 9 février, au camp de Sainte-Livrade-sur-Lot, on fêtera le Nouvel An chinois. Les pétards, aujourd'hui interdits au Vietnam, chasseront des vieux baraquements les démons et leurs mauvais sorts. A minuit, l'année du Singe - animal malicieux, débrouillard et doté d'une mémoire infaillible - laissera place à celle du Coq, créature fière, voire orgueilleuse et sûre de son bon droit. Le coq gaulois de l'histoire de France?
Depuis les années 1950, près de 1,5 million de Français d'outre-mer ont été rapatriés en métropole. L'Etat leur a versé 14,2 milliards d'euros à titre d'indemnisation. Derniers en date, les 8 332 Français rentrés de Côte d'Ivoire en novembre 2004 bénéficient d'un fonds de soutien de 5 millions d'euros.
Dien Bien Phu 1954
Dans la cuvette de Dien Bien Phu, le piège se referme sur les parachutistes Français. Les 15 000 soldats Français qui, isolés, se battent avec courage et détermination, mais l'étranglement du camp retranché se poursuit. L'HEROÏSME des combattants atteint des sommets. LE SILENCE se fait sur le camp le 7 mai 1954.
Hommage aux combattants morts en Indochine
Au CAFI de Sainte-Livrade, la cérémonie en hommage aux soldats morts en Indochine
Pour
la huitième année, la journée nationale d’hommage aux morts pour
la France en Indochine s’est déroulée à Sainte-Livrade-sur-Lot,
au Cafi (centre d’accueil des Français d’Indochine) samedi 8
juin. M.Walrich présidait la cérémonie. Les associations d’anciens
combattants avec délégation et porte-drapeaux, l’UNP d’Agen, le
général Vilain, Claire Pasut, maire de Sainte-Livrade, et ses
adjoints; les maires des communes avoisinantes, la gendarmerie, les
pompiers, l’ARAC et le sous-préfet J. Mougenot, les résidants du
Cafi assistaient à cette commémoration.
Après les messages évoquant le souvenir des combattants en Indochine, la lecture par le sous-préfet du message du ministre des Anciens Combattants, les dépôts de gerbes, la cérémonie se terminait par la minute de silence et la «Marseillaise». Le verre de l’amitié fut offert par la municipalité dans les locaux de l’ARAC. Une visite de la pagode et du palais des génies termina cette belle matinée. Rendez-vous est pris pour le 60e anniversaire .
CAFI Sainte-Livrade-sur-Lot, lieu de mémoire
Malgré les rénovations, les anciennes barres militaires dans lesquelles ont vécu plusieurs générations de rapatriés sont toujours debout .
Depuis
le 29 juin 2012, une partie du Centre d’accueil des Français
d’Indochine (Cafi), dit le camp du Moulin du Lot a été inscrit
sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. En
octobre 1935, de nombreux paysans sont expropriés et leurs terres
vont servir de cantonnement aux ouvriers qui devaient construire une
immense poudrerie sur la rive gauche entre Casseneuil et
Sainte-Livrade. Le projet est abandonné pendant la Seconde guerre
mondiale et le Moulin du Lot devient un camp militaire avant
d’accueillir - après les accords de Genève sur le Vietnam signés
en juillet 1954 - les Français d’Indochine rapatriés d’Asie. 1
700 personnes (il n’y avait à l’époque que 3 500 habitants à
Sainte-Livrade-sur-Lot) s’installent dans ses baraquements qui
n’ont même pas l’eau courante. Certains y vivent encore même
si, depuis 2008, la mairie (propriétaire des lieux depuis 1981) a
entamé une réhabilitation.
C’est la mairie qui, en 2009, a sollicité l’État pour envisager la protection du Cafi en tant que lieu d’histoire. « Ce n’est pas par intérêt architectural, explique Claire Pasut, le maire, mais pour préserver l’histoire. » L’inscription a permis de stopper l’élan de reconstruction de l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine), l’obligeant à conserver quatre barres de bâtiments, la Pagode, son monument cultuel ainsi que la Madone et son cadre végétal. Des travaux vont d’ailleurs être entrepris à la rentrée pour continuer cette préservation, « de la vie qu’il y a encore et des traditions que ces gens peuvent maintenir, » ajoute Claire Pasut.
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